Taekwondo / Levent Tuncat « Chaque combat est une finale »

Publié le : 13/07/2016 11:52:49
Catégories : Actualités , taekwondo

Taekwondo / Levent Tuncat « Chaque combat est une finale »

Aux JO 2008, il était le favori de sa catégorie. Il était aussi le plus jeune. Il a chuté au 1er tour. 8 ans après, il est le plus âgé de sa caté. Entre-temps, il a été stoppé pendant trois saisons, suite à de nombreuses blessures.

Comme si de rien n’était, l’Allemand Levent Tuncat et son flamboyant Taekwondo sont réapparus au sommet en 2014 (2e à l’Euro). A nouveau libéré, le champion d’Europe (2005, 2006 et 2008) aborde les JO de Rio avec une maturité dont ses adversaires devront se méfier.

Par Ludovic Mauchien

 

Parvenir au haut niveau n’est pas donné à tout le monde. Demeurer au Top est encore chose moins aisée. Revenir au Top niveau après 3 saisons quasi blanches, relève de l’impensable, de l’inimaginable, mais pas de l’impossible puisque Levent Tuncat est parvenu à le faire.

Artiste né, au Taekwondo bondissant, l’Allemand d’origine turque a démarré sa carrière en fanfare. Champion d’Europe à seulement 17 ans, en 2005 (-54 kg), il récidive l’année suivante puis de nouveau en 2008 (-58 kg). Aux JO de Pékin, les bookmakers en ont fait leur favori. Il n’a que 20 ans. Il va commettre un péché de jeunesse. Il perd au 1er tour au point en or contre le futur médaillé de bronze, l’Afghan Nikpai.

Quatre ans plus tard, il manque les Jeux de Londres, éliminé par le Russe Denisenko lors du tournoi de qualification. Il est déjà blessé, au ménisque cette fois-ci, et ne peut défendre ses chances à fond. Il se souvient d’un combat où « Denisenko a été meilleur ».

Le pire est à venir. Dès 2012, Levent Tuncat enchaîne blessure sur blessure, et non des moindres : main cassée, pied fracturé, rupture des ligaments… Le feu-follet semble perdu pour le sport de haut niveau. C’est méconnaître la force de caractère de notre champion. C’est sous-estimer la force de l’amour.

 

Il n’y pensait plus. Il n’y croyait pas…

 

Il trouve la force de revenir aux 1ers rangs grâce au soutien de sa famille, à commencer par celui de sa femme. Il puise son énergie dans ses 2 enfants de 2 ans et 6 mois, « ses médailles d’or ». Vice-champion d’Europe en 2014, 3e des Jeux Européens en 2015, Levent Tuncat aborde les JO de Rio comme un cadeau du ciel. Il n’y pensait plus. Il n’y croyait pas. Et 8 ans après les premiers, il va à nouveau disputer les Jeux Olympiques.

Il aura 28 ans le 29 juillet, il sera le n°5 mondial le 17 août, à l’heure de grimper l’Olympe. La tâche s’annonce ardue, il le sait. Il n’est pas le favori. A cœur vaillant, rien d’impossible… Avec Levent Tuncat, tout est imaginable…

 

Qu’est-il advenu depuis 2012 ?

Après les Jeux Olympiques 2012, J’ai dû arrêter ma carrière pendant 3 ans à cause de plusieurs blessures (main cassée aux Mondiaux 2013, pied cassé, rupture des ligaments… En un an, j’étais descendu au-delà de la 10e place mondiale. Cela a été l’une de mes motivations pour revenir au haut niveau et tenter de participer aux Jeux. Et huit ans après mes premiers, je vais à nouveau combattre aux JO.

 

« Je pense pouvoir faire quelque chose… »

 

Où as-tu puisé la force de revenir ? Dans le rêve olympique ?

Pas vraiment, plutôt à travers ma famille. Elle m’a toujours soutenu. Ma femme, mes parents, tout le monde a cru en moi et m’a soutenu. Mon épouse a l’habitude de dire que je peux y arriver, que mes nombreuses blessures ne sont pas un problème, que je suis l’un des tout meilleurs du monde… Ma force, ma motivation, c’est dans cela que je l’ai trouvée. Je veux leur rendre quelque chose en retour. Et les Jeux Olympiques représentent le plus haut niveau.

 

Comment te-sens-tu aujourd’hui ?

Je suis en super forme. Je pense pouvoir faire quelque chose… L’an dernier, j’ai remporté la médaille de bronze aux Jeux Européens. L’année d’avant, en 2014, j’avais terminé 2e des Championnats d’Europe et glané plusieurs podiums en Grand-Prix.

Je suis désormais vers la fin de ma carrière. Je me sens très bien mais, c’est vrai, je n’ai jamais pensé que je pourrais revenir à un si haut niveau après les 3 années d’arrêt et mes grosses opérations. Grâce au soutien de ma famille, j’y suis parvenu. Et aussi avec l’aide de l’entreprise qui m’emploie.

 

« Beaucoup de très bons combattants »

 

Comment t’es-tu préparé pour Rio ?

Nous avons abordé l’année en effectuant beaucoup de travail physique, de foncier, matins et après-midis. Depuis avril, je continue à travailler sur ma condition physique le matin, dorénavant, je travaille plus spécifiquement le Taekwondo. Cela a donc un peu évolué.

Nous avons aussi effectué plusieurs camps d’entraînement. A la fin mars, nous sommes allés pendant 2 semaines en Corée. On s’entraînait 2 à 3 fois par jour, selon les sensations de notre corps… Mi-avril, on a effectué un stage d’une semaine en Turquie. Puis, nous avons enchaîné avec les championnats d’Europe fin mai (il a perdu au 2e tour contre l’Anglais Pearce, 18-15).

 

Comment as-tu abordé ces championnats, sachant qu’ils se situaient 3 mois avant les Jeux ?

Toute ma préparation a été programmée pour les Jeux Olympiques. Même si notre programme prenait en compte les « Europe », nous nous concentrons sur les JO depuis le début. L’objectif est d’être au top aux JO, pas aux Championnats d’Europe.

J’ai déjà été sacré trois fois champion d’Europe. J’ai participé à 7 Euro mais seulement une fois aux JO. Les Jeux ne se déroulent que tous les 4 ans, pas tous les ans.

En 2015, j’ai remporté la médaille d’argent aux Championnats d’Europe. Dans ma catégorie, il y a beaucoup de très bons combattants comme le Portugais (Rui Braganca, qui a gagné le titre), le Belge (Mohamed Ketbi), le Serbe (Milos) et l’Espagnol (Jesus Tortosa)… Ces Championnats étaient une façon de tester notre corps.

 

« J’ai 2 médailles d’or à la maison, mes 2 fils »

 

Comment vois-tu Rio ?

Nous n’avons pas 10 millions de chances de combattre à des JO car s’y qualifier est très difficile. Remporter une médaille est encore plus compliqué. Cela fait voir à votre esprit les choses de manière différente. Si je suis dans un bon jour, si je me sens bien, je peux tout maîtriser et remporter la médaille d’or. L’athlète qui va gagner sera celui qui est le plus fort mentalement.

 

Tu as combattu aux JO 2008. Quels sont tes souvenirs ?

Ils sont excellents. J’étais très jeune mais j’étais déjà présenté comme le favori à la médaille d’or. Tout le monde me voyait gagner, moi aussi. Mais les Jeux Olympiques, c’est une compétition très différente des Mondiaux ou des Championnats d’Europe. C’est difficile à décrire. Mais j’ai beaucoup appris à Pékin (il a perdu au 1er tour au point en or contre l’Afghan Nikpai).

 

Penses-tu cette expérience des JO 2008 va te servir à Rio ? 

Elle va incontestablement m’être utile à Rio. En 2008, j’étais le combattant le plus jeune du tournoi. Cette année, je suis le plus âgé de ma catégorie (il rit). Aux Jeux, les 16 meilleurs mondiaux s’affrontent. C’est un tournoi très, très difficile. Je fais de mon mieux dans ma préparation. J’espère pouvoir montrer aux gens de très beaux combats.

Le plus important est, je pense, que je demeure en bonne santé parce que j’ai 2 médailles d’or à la maison, mes 2 fils. Mais si je peux gagner la médaille d’or olympique, ce serait évidemment extraordinaire. On ne sait jamais, c’est tellement difficile.

 

« Je souhaite que le meilleur gagne »

 

Penses-tu pouvoir gagner ?

Tout le monde veut gagner, moi aussi. Si vous m’aviez posé cette question il y a 8 ans, j’aurais répondu : « je ne vais perdre aucun match et gagner tous mes combats ». Evidemment, on doit croire en soi. Mais les Jeux Olympiques sont un tournoi très particulier. Vous devez rester détendu et concentré. Cela doit être une journée parfaite pour vous, votre corps et votre esprit. Ce n’est donc pas si évident. Ce jour-là, à travers le monde entier, pratiquants de Taekwondo ou non, tout le monde va vous regarder.

 

Que t’a-t-il manqué à Pékin ?

L’expérience même si j’étais déjà 3 fois champion d’Europe. J’étais donc supposé en avoir. J’étais trop obsédé par la médaille d’or. J’ai trop pensé à la finale en oubliant les combats précédents. Je n’ai pas pris ce tournoi étape par étape.

Cette fois-ci, à Rio, je réfléchirai différemment. En premier lieu, je me concentrerai sur mon 1er combat et, si je gagne, sur mon 2e. Chaque combat est une finale.

 

Quel est ton principal adversaire ? Toi-même ?

En premier, je pense que c’est moi. Je sais que je peux battre tout le monde mais, lors de mes 1ers Jeux, j’étais trop concentré sur moi-même. C’est la raison pour laquelle j’ai perdu.

Tous mes adversaires sont très, très forts. A Rio, il y aura 2 champions du monde dans notre catégorie, l’Iranien Ashourzadeh Allah et le Coréen Kim Tae-Hun, ainsi que plusieurs champions d’Europe… Tout le monde peut gagner une médaille dans un grand championnat international ! Je crois que cela va être une folle journée et que l’on va s’amuser. Je souhaite que le meilleur gagne.

 

« Je veux profiter de mes enfants »

 

Que souhaites-tu faire après ta carrière d’athlète de haut niveau ?

Je retournerai travailler dans mon entreprise qui fait du commerce industriel. Je suis assistant manager dans le service des achats. Et, surtout, je passerai beaucoup de temps avec ma famille, ce que je n’ai pas pu faire depuis 6 ans. Les 3 dernières années ont été très compliquées parce que j’ai eu 2 fils, l’aîné a 2 ans et le cadet 6 mois. Je ne les ai pas vus beaucoup du fait du nouveau système de ranking qui nous oblige à combattre quasiment tous les week-ends, dans tous les pays.

Je veux donc profiter de mes enfants. Je pratique le Taekwondo depuis presque 23 ans. Après ma carrière, je veux faire quelque chose de différent. Bon, je dis cela aujourd’hui mais, après Rio, qui sait ? Je ferai peut-être un petit break avant de repartir (il rit).

 

Qu’est-ce qui t’intéresse hors Taekwondo ?

Je n’ai pas beaucoup de temps pour moi. Quand j’en ai, je le passe avec mes enfants. Depuis que mon fils est né… Je ne sais pas comment décrire mon amour. Tout ce qui m’intéresse est de passer du temps avec lui. J’aime jouer au foot avec lui, aller à la piscine avec lui… Avant, j’adorais faire du shopping, aller au cinéma… Mais, désormais, mon seul centre d’intérêt, ce sont mes enfants.

 

« Je ne suis pas fan de l’électronique »

 

Vas-tu les former pour qu’ils deviennent des combattants de Taekwondo ?

L’aîné a voulu essayer. Je lui ai dit : « non, non, n’essaie pas ! ». Je crois qu’il en fera mais je ne le veux pas. C’est très stressant, il y a beaucoup de compétitions, parfois des blessures. Ce n’est pas évident d’avoir une scolarité, une éducation, d’aller à l’université tout en étant un athlète de haut- niveau, surtout avec le système du ranking. Aujourd’hui, ce n’est plus comme à mon époque.

Moi, je suis diplômé. J’ai terminé mes études et c’était déjà compliqué. Mais, moi, j’ai un métier d’assuré. Ce n’est pas le cas pour beaucoup qui ne se concentrent que sur le Taekwondo. Je sais que c’est très difficile. C’est pour cela que je ne veux pas que mon fils en fasse.

 

Tu as remporté ta 1ère médaille Senior à l’Open d’Allemagne en 2005. Tu as donc connu l’ancien système. Que penses-tu de l’apport de l’électronique ?

Je ne suis pas fan. Je peux même dire que je n’aime pas. Le système électronique a certes un côté positif car il est plus équitable, plus honnête. Mais cela nous a obligé à changer notre style de Taekwondo. Aujourd’hui, tout le monde combat de la même manière. Vous ne voyez plus les différences de qualité entre athlètes : qui est le plus rapide, le plus explosif, quel est le meilleur tacticien ou technicien.

Avant l’arrivée du système électronique, chacun avait son propre style. Que vous soyiez petit ou grand, il n’y avait pas de problème. Désormais, les combattants qui sont grands sont nettement avantagés.

 

« Aujourd’hui, le Taekwondo est ennuyeux »

 

Que faudrait-il faire, d’après toi, pour améliorer le système ?

Peut-être faudrait-il juste changer quelques détails, mais pas tout le système. Rien que mettre un capteur sous le pied changerait beaucoup de choses. Je pense que les gens prendraient plus de plaisir à regarder du Taekwondo. Cela sous-entendrait revenir quelque peu à l’ancien style. Mais c’est ce que nous aimons, c’est ce que les gens apprécient et veulent voir. Aujourd’hui, il est très difficile d’apprécier des différences entre chaque combattant. Le Taekwondo est devenu de l’escrime.

Quand vous regardez un combat, c’est vraiment ennuyeux. Quand vous regardez Servet combattre, c’est sympa à voir. Mais, seulement, il se retrouve parfois face à un combattant qui ne sait faire qu’une chose : donner un front-kick et Servet finit par perdre. Ce n’est pas possible ! Le Taekwondo, ce n’est pas que le Yop Tchagui. C’est beaucoup plus que cela : qui est le plus rapide, qui possède le plus de techniques…

 

 

 

Partager ce contenu

PayPal