Publié le :
25/10/2016 10:29:55
Catégories :
Actualités
, Karate
Une équipe qui gagne, c’est une alchimie. Celle des corps et de l’esprit. Particulièrement en Kata, où homogénéité et équilibre sont les deux piliers du trio. L’équipe de France a déjà transmuté le métal. Elle a anobli la médaille de bronze 2015 en s’adjugeant l’or européen en mai 2016, un titre qui fuyait la France depuis… 2006.
Ayoub Neghliz était de l’aventure il y a 10 ans. Aujourd’hui, il est celui qui a forgé l’alliage, unifier l’attelage de cette équipe qui gagne. Il a bâti les fondations. Il nous livre les clés du succès de Lucas Jeannot, Enzo Montarello et Ahmed Zemouri.
Par Ludovic Mauchien
Pour trouver le « Grand Œuvre » de l’alchimie, il ne faut point de non-dits. Il faut de la philosophie. De la physiologie aussi. Ayoub Neghliz a déjà vécu cette panacée, cet ultime concentré qui mène aux sommets. Entraîné par Alain Auclerc, il a été champion d’Europe (2006) et du monde (2008) avec Jonathan Plagnol et Julien Dupont.
En mai dernier, il a trouvé ses successeurs. 10 ans après leurs illustres aînés, Lucas Jeannot, Enzo Montarello et Ahmed Zemouri étaient sacrés champions d’Europe à Montpellier, en dominant l’Espagne championne du monde et double championne d’Europe en titre.
En club, Lucas et Ahmed sont entraînés par Philippe Leprince au KCVO Villepinte, Enzo par Sabrina Buil et son père Rémy au KC Ronin de l’Estaque. En équipe de France, c’est Ayoub Neghliz qui prend le relais depuis 7 ans, mais il a constitué le trio seulement depuis janvier 2015.
Le « Head Coach », inénarrable sur le Kata, aborde le pourquoi du comment, la genèse et la synthèse, qui a abouti à la transmutation des métaux. Le trio, pour sa 1ère apparition à ce niveau, a été médaillé de bronze à l’Euro 2015. Cette année, ils ont réussi à transformer le bronze en or. Il leur reste encore à trouver « l’élixir de longue vie », l’autre chemin de l’alchimie. Et pourquoi pas dès les Championnats du monde à Linz (26-30 octobre) ?…
Quel est le 1er critère à respecter pour construire une équipe qui gagne en Kata ?
Ma ligne de conduite est d’avoir, avant toute chose, trois individus forts. Ahmed, Enzo et Lucas le sont tous individuellement. Puis il faut leur inculquer l’image du « par équipe », qui nécessite une certaine cohésion.
Au début, je les ai mis en concurrence avec d’autres équipes. Il fallait qu’ils mûrissent. S’ils devaient prendre la relève en Senior, cela allait se faire naturellement. C’est ce qui s’est produit. Mais il ne s’agit pas uniquement de participer et de représenter l’équipe de France, il faut aussi performer. On rentre là dans un travail très fin.
Quelles ont été les étapes de construction de cette équipe ?
Lorsqu’ils se classent 3e aux Championnats d’Europe 2015, j’ai su qu’il y avait quelque chose, même s’ils ont pris un cinglant 5-0 contre l’Espagne. Cela a été dur à avaler, pour moi et pour eux. J’ai voulu procéder à plusieurs changements. Je pense que c’est la remise en question permanente de chacun qui fait progresser le groupe.
J’ai changé le capitaine en plaçant Enzo devant et j’ai repositionné Lucas derrière. J’ai fait une réunion, je leur ai expliqué les raisons de ce changement. C’est important d’’expliquer pour qu’il y ait une confiance absolue, au sein des trois mais aussi auprès de l’entraîneur. On met sa fierté de côté. On forme une équipe et on est là pour gagner. On a besoin que chacun apporte quelque chose dans son domaine. Tout ce que l’on fait, c’est uniquement dans le but de gagner. Ils ont très bien compris.
Tu dis avoir senti « quelque chose » à ces Championnats d’Europe 2015. Quoi ?
Ils avaient la fibre. On sentait qu’ils avaient envie de réussir ensemble, qu’il y avait une certaine cohésion. Cela n’est pas si commun ! Pour Lucas et Ahmed, je ne me faisais aucun souci. Ils ont été en équipe de France Junior ensemble, ils sont licenciés dans le même club… Après, il s’agissait de l’adaptation d’Enzo dans ce groupe.
Je savais avant que cela fonctionnerait du côté d’Enzo parce que je le connaissais, mais comment les deux autres allaient-ils le ressentir, le recevoir ? Ce sont des garçons très intelligents. Ils l’ont très bien accueilli. Ils l’ont adopté.
C’est aussi à moi de faire en sorte qu’il le soit. Les points forts individuels, l’explosivité, l’envie permanente de gagner d’Enzo, mélangé aux caractères, à la vision d’équipe de Lucas et d’Ahmed, a créé une bonne alchimie.
Comment se complètent-ils techniquement ?
Au niveau morphologique, déjà. J’ai voulu placer Enzo devant pour 2 raisons. Sur l’aspect morphologique, il fallait une homogénéité dans l’équipe, donc mettre le plus fin, le plus petit devant et les 2 grands qui « se ressemblent » derrière. Ahmed et Lucas, on a l’impression que ce sont 2 frères. Ils sont même coiffés pareil. Cela dit, ils sont comme 2 frères dans la vie. Cela me rappelle mon équipe de 2008 (avec Jonathan Plagnol et Julien Dupont).
Et la 2e raison ?
C’est une question d’équilibre de l’équipe. Enzo est très explosif. Ahmed et Lucas sont plus dans un travail de longitude, assez ample, et sont plus en puissance, notamment Ahmed.
Placé derrière, Enzo était beaucoup sur la retenue. J’avais l’impression qu’il n’était pas à 100%. Je me suis dit qu’il allait mieux s’exprimer devant et que cela allait automatiquement pousser les 2 autres.
Ahmed et Lucas allaient être obligés de se raccrocher à un wagon qui va plus vite. Cela allait certainement créer un dynamisme supplémentaire. Le Karaté de compétition se dirige beaucoup vers ça, vers un Karaté plus dynamique, beaucoup plus posé. On aime ou on n’aime pas, mais c’est le Karaté de compétition actuel et il faut intégrer ces critères. Enzo incarne très bien ce travail là en étant devant. C’est ce que j’ai essayé de faire passer avec les deux « grands » derrière.
Quel est l’apport de chacun ?
Enzo, c’est l’explosivité. Ahmed et Lucas, c’est au niveau du Bunkaï. Dans le kata, les deux de derrière complètent le trio. En Bunkaï, ils ont des qualités qu’Enzo n’a pas. J’ai responsabilisé ce dernier en tant que capitaine devant mais, dans le Bunkaï actuel de l’équipe, il ne fait aucune découpe.
Lucas a des qualités de jambes exceptionnelles. Il lance donc le Bunkaï. Il remet une couche en termes de précision de tout ce qui est coups de pied à la tête, etc. Ahmed, lui, apporte le dynamisme. A un moment donné, on peut sentir l’équipe fatiguée. Il va la relancer. Il est plus en poings et moins en jambes que Lucas mais il possède ce dynamisme que celui-ci n’a pas.
Ensuite, il fallait aussi repenser le Bunkaï en entier. A quel moment va-t-on placer les jambes ? A quel moment va-t-on redynamiser l’équipe quand le rythme va baisser ? Tout cela, il faut l’étudier, le préparer. Ce sont des heures de vidéo. Il faut donner la meilleure composition pour que l’équipe réussisse. C’est ce que j’essaie de faire.
Avoir été sacrés champions d’Europe change-t-il quelque chose dans l’approche ?
J’ai posé les points rapidement. C’est clair qu’ils font partie des favoris. On ne va pas se voiler la face. Mais j’ai envie de leur enlever cela de la tête et, surtout, qu’ils n’aient pas de pression !
Heureusement ou malheureusement, ce sont leur 1ers Championnats du monde. Cette équipe est toute jeune (22, 23 et 23 ans) ! A leur âge, on avait déjà fait un championnat du monde. Je leur martèle à l’entraînement qu’ils n’ont rien à défendre. Ils ne sont pas champions en titre, ni médaillés mondiaux.
J’espère les emmener dans les mêmes conditions qu’à Montpellier, c’est-à-dire sans se poser de questions, en étant outsider dans leur tête, tout simplement ! C’est ce qui fera la réussite de cette équipe aux Championnats du monde.